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Interview : L'économiste Eloi Laurent

Interview : L'économiste Eloi Laurent

Le 25/10/2021

Éloi Laurent est économiste et l’auteur de "Et si la santé guidait le monde" (Ed. Les Liens qui libèrent). Il y propose que les politiques publiques soient menées non plus par le produit intérieur brut (PIB) et l’idée de croissance, mais par la pleine santé. Pour ce spécialiste du développement soutenable, le temps de l’économie de la coopération est venu.

 

Éloi Laurent est économiste et l’auteur de "Et si la santé guidait le monde" (Ed. Les Liens qui libèrent). Il y propose que les politiques publiques soient menées non plus par le produit intérieur brut (PIB) et l’idée de croissance, mais par la pleine santé. Pour ce spécialiste du développement soutenable, le temps de l’économie de la coopération est venu.

 

Propos recueillis par Gaïa Mugler

 

La santé, c’est quoi pour vous ?

   

C’est la pleine santé, dans toutes ses dimensions : biologique, mentale et écologique. On l’a vu avec la pandémie : pas de santé humaine sans santé des écosystèmes. Et la santé écologique ne se conçoit pas sans santé sociale. Des études montrent que la meilleure espérance de vie se trouve chez ceux qui ont les meilleures relations sociales : au-delà de la reproduction, l’amour nous maintient en vie.
     
Notre santé dépend de celle de tous les autres et inversement. Et de la santé des écosystèmes dépend la nôtre. Nous sommes des êtres de nature, des écosystèmes : on ne peut digérer sans les centaines de milliers de bactéries qu’on abrite. Mais aujourd’hui, la nature est quasi entièrement humaine, sous notre domination et donc notre responsabilité.

  
Pourquoi la santé primerait sur d’autres critères ?

 

C’est plus intuitif. Il faut des critères compréhensibles, appropriables facilement par les citoyens, parce qu’on est dans l’urgence ! La vraie opposition se fait avec le plein-emploi, qui n’entraîne pas la pleine santé. Celle-ci comporte aussi une dimension spirituelle qui rejoint la notion de bonheur national brut (NDLR : Le BNB, mis en place au Bhoutan en 1972, comporte neuf dimensions du bien-être) ou des philosophies de sociétés dites indigènes.
  
Un rapport de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) montre qu’elles sont les meilleures gardiennes de la biodiversité. La pleine santé permettrait de passer d’une économie de l’individualisme, de la domination, à une économie de la solidarité, de la coopération. Coopération entre humains, sociale, mais aussi avec les écosystèmes.
 

  

        

Pourquoi n’arrive-t-on pas à sortir du modèle de la croissance ?

 
À cause des trois i : idées, institutions, intérêts. Les idées, c’est être convaincu, au-delà de toute rationalité, qu’une chose est bonne ou non. La croissance est un imaginaire, et comme Cyril Dion le dit, il y a un vrai combat des récits à mener, qui avance ! Reste à faire bouger les institutions.
    
Ainsi, M. Macron paraît jeune mais est vieux dans sa tête et échoue à évoluer dans sa vision de l’économie, du monde. C’est vrai aussi des économistes, qui sont la plus grande force d’inertie. Mais des institutions, tels le FMI (Fonds monétaire international), l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), la Banque mondiale, la Banque centrale européenne, qui revendique maintenant de lutter contre le changement climatique, changent.
    
Enfin, il y a les intérêts et ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change, comme dans Le Guépard (NDLR : roman de Tomasi di Lampedusa, adapté au cinéma par Visconti). C’est ce qui donne le greenwashing ! Mais les intérêts des XIXe et XXe siècles sont farouchement combattus et on leur oppose des intérêts nouveaux, qui sont d’intérêt général.
 

 

L’État social-écologique que vous proposez fera-t-il des perdants ?

 
L’économiste américain James Boyce dit que la raison pour laquelle il y a des dégradations environnementales, c’est qu’elles font des gagnants, et si elles importent, c’est qu’elles font des perdants. Aujourd’hui, le coût de la non-transition est supporté par les plus modestes. Il faut faire supporter le coût de la transition par les plus fortunés. Préserver la biosphère étant dans l’intérêt de tous, il n’y aura en réalité pas de perdants.

 
La pression démographique ne nous en empêchera-t-elle pas ?

  

Nous sommes 7,5 milliards d’habitants sur Terre. En 2050, nous serons peut-être jusqu’à 11 milliards. C’est un vrai problème. Faut-il le régler comme Malthus le suggérait en 1798 en éliminant les plus pauvres ? Comme la Chine, en institutionnalisant l’infanticide ? Non. Le secret de ceux qui ont réussi la transition démographique, c’est l’accès des femmes à l’éducation, et par conséquent l’éducation des hommes au savoir des femmes. La clé de la soutenabilité réside donc dans une politique d’égalité et de justice.

  

Vous êtes confiant ?

 

On a dix ans pour changer le monde, mais nous sommes capables d’aller vite, la Covid-19 l’a montré. J’ai une confiance immense en l’avenir de l’humanité autant par conviction que par expérience.

   

SI VOUS ÉTIEZ...

Autre chose qu’un économiste

J’aurais essayé d’inventer des jouets pour enfants.
 

Un objet du quotidien

Un bon oreiller. Doux, accueillant, mais pas trop mou, pour que les gens puissent vraiment se reposer.

Un végétal

Un cerisier du Japon des Buttes-Chaumont à Paris.
C’est un parc où je passe beaucoup de temps avec mes enfants et où les arbres notamment sont extraordinaires.

Un héros de la mythologie

Ulysse, parce que c’est quelqu’un qui revient chez lui.

 

Une qualité humaine

Le pardon.
C’est une qualité très difficile à acquérir et pourtant la plus utile pour maintenir les liens sociaux.
Le pardon, c’est la clé pour construire l’avenir.
   

         

    BIO EXPRESS

  
Éloi Laurent est économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). 
Il enseigne à Sciences Po, Ponts ParisTech et à l’université de Stanford.
Il a également enseigné à l’université de Harvard, après avoir été attaché parlementaire à l’Assemblée nationale et avoir travaillé au cabinet du Premier ministre Lionel Jospin (2000-2002).
    
Il est notamment l’auteur aux éditions Les Liens qui Libèrent de Nos mythologies économiques (2016), Sortir de la croissance, réédité en poche avec une nouvelle préface du climatologue JeanJouzel (2021)
et de Et si la santé guidait le monde ? (2020).

        

Retrouvez cet article dans le n°118 de CULTURESBIO, le magazine de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles, ou à télécharger sur le site de Biocoop.
 

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